Le retour d'Alejandro, qui se rapproche à grands pas, doit être l'occasion de s'interroger sur l'orientation à donner à sa carrière.
Comment reviendra Alejandro dans le peloton professionnel ? Sur-motivé, c'est une certitude. Il aura l'envie, et même plus, la rage, de (re)montrer sa valeur et de gagner des courses comme il l'a toujours fait. Il l'a dit et répété, pour lui, il reviendra "au même niveau qu'avant, si ce n'est meilleur". Cette conviction profonde, on l'a retrouve chez bon nombre de suiveurs, en particulier chez ceux qui ont eu l'occasion de le côtoyer durant sa suspension, que ce soit à l'entraînement ou lors de cyclotouristes. Valverde est très affuté, il n'a cessé de s'entraîner pendant cette année et demi, il a simulé des périodes de compétition, bref, il a été très professionnel. A l'entraînement, il lui est même arrivé régulièrement de lâcher ses amis pros comme LL Sanchez ou Rojas, ou encore d'approcher de très près ses records de temps lors d'ascensions près de Murcie (un de ses records date de fin juin 2005, peu avant son exploit de Courchevel).
Mais s'il s'est beaucoup entraîné, il n'a pas couru "pour de vrai". Son dernier Grand Tour remonte à la Vuelta 2009, qu'il a certes remporté, mais qui datera de presque trois ans lorsqu'il se réessayera à une course de trois semaines, le Tour en juillet 2012. Trois ans, c'est beaucoup. Valverde n'a rien perdu de ses ambitions : ce Tour, il veut toujours le gagner. Et s'il n'atteint pas le maillot jaune, alors il veut au moins le podium. Mais il ne pas faut pas se faire d'illusions : ça sera dur, même à terme. Autrement dit, les chances qu'il y parvienne un jour ne sont pas extrêmement élevées. La faute au chrono, bien sûr, toujours ce même handicap, qui n'est pas rédhibitoire sur la Vuelta (la preuve, il l'a gagné) mais qui pèse bien plus lourd dans la balance sur le Tour, où le niveau est sensiblement différent. C'est simple : pour compenser son déficit en contre-la-montre, Alejandro doit gagner du temps sur ses rivaux ailleurs. Et pour cela, il doit attaquer, oser, prendre des risques, le contraire de sa stratégie d'économie qui avait fonctionné pour la Vuelta. Il lui faut comprendre que ce qui marche pour la Vuelta n'est pas forcément adapté au Tour. Le cas de Basso, dominateur sur le Giro 2010 puis impuissant sur le Tour 2011 dont il avait pourtant fait l'unique objectif de sa saison, est révélateur.
Valverde est (aussi) un coureur de Grand Tour, il l'a montré en gagnant la Vuelta, mais est-il un coureur du Tour (ce qui est différent) ? La question se pose depuis longtemps mais n'a toujours pas été tranchée (la faute surtout à des pépins physiques de 2005 à 2008, puis de 2009 à 2011 à ses soucis extra-sportifs). Or, il serait temps d'y répondre. Car derrière le Tour, une multitude de courses attendent que Valverde s'en empare. S'il s'avère qu'Alejandro n'est vraiment pas fait pour le classement général du Tour, il faudra changer (et si possible pas trop tard, le temps passe vite...) le paradigme de sa carrière, centré pour le moment sur l'épreuve estivale. Non, Valverde n'est sans doute pas un nouvel Hinault, Indurain, Armstrong, comme on a pu l'espérer à ses débuts. Il ne l'est pas, mais il est beaucoup d'autres choses, et c'est mieux ainsi. Un ovni dans le monde du vélo, un Sean Kelly moderne.
L'Irlandais avait toujours buté sur le Tour (en 14 participations, ses meilleures performances sont une 4e, une 5e et une 7e place) mais reste l'un des cyclistes les plus titrés de l'histoire en ayant remporté une Vuelta, 7 Paris/Nice, Milan San Remo, Liège Bastogne Liège, le Tour de Lombardie, etc. Valverde, lui aussi, a les moyens d'enrichir son palmarès avec de très grandes courses. Il a déjà dans sa besace la Vuelta, deux Liège, la Flèche Wallonne, deux Dauphiné, la Clasica San Sebastian et le Tour de Romandie, pour ne citer que ses plus grands succès. C'est très bien mais il peut faire encore beaucoup mieux ! Dans ses cordes, citons en premier lieu le Mondial (auquel il accorde beaucoup d'importance, ce qui est une très bonne chose), un troisième Liège (on ne peut se lasser d'un tel monument), mais aussi Milan San Remo, le Tour de Lombardie, l'Amstel Gold Race ou encore Paris Nice. Six grands objectifs à sa portée, où il a déjà d'ailleurs pour la plupart approché la victoire, parfois de très près. Sur le Tour, en revanche, il a toujours buté sur quelque chose. Certes, il a progressé depuis sa dernière participation en 2008, il a pris de la caisse sur trois semaines, il est plus résistant, notamment face à la météo, mais est-ce suffisant pour passer de la lutte pour la 5e place à la lutte pour le maillot jaune ? Je ne dis pas non (Samuel Sanchez n'est pas passé loin du podium en 2010, c'est donc bien qu'Alejandro peut y arriver), mais je demande à voir.
Une idée pourrait être qu'Alejandro ne dispute plus le Tour avec l'obsession du général, mais avec l'objectif de gagner des étapes (Courchevel et Plumelec font parti des plus grands moments de sa carrière, et chaque année, en premier lieu l'an prochain, certaines étapes lui correspondent parfaitement) tout en gardant un oeil sur le général. S'il voit, lorsque les choses sérieuses ont commencé, qu'il est bien placé, alors il s'y intéressera ; mais sinon, il luttera pour le général lors de la Vuelta quelques semaines plus tard. De toute façon, lutter pour la victoire à la fois sur le Tour et sur la Vuelta, dans la même saison, me paraît être un peu trop lourd, si l'on veut en plus briller à côté sur un certain nombre d'épreuves. Les chiffres parlent : la seule fois où Alejandro a couru successivement le Tour et la Vuelta (les deux en entier), en 2008, il a terminé 8e du Tour et 5e de la Vuelta, ce qui était assez décevant. Et pour rappel, la seule fois où Alejandro a remporté un Grand Tour, la Vuelta, c'était une saison où il n'avait pas couru le Tour...
Ainsi, le programme de saison idéal serait selon moi le suivant :
- Un printemps chargé, avec Paris/Nice, peut-être Milan San Remo, Pays Basque, ardennaises et Romandie ;
- Puis pause jusqu'en juin où il disputerait le Dauphiné pour le gagner ;
- Eventuellement le Tour pour y gagner des étapes mais pas pour viser le maillot jaune ;
- Fin de saison avec Vuelta qui serait le grand objectif de saison, et Mondial et Lombardie à ne pas négliger.
Le Tour serait optionnel : si cela fait trop, Alejandro se reposerait en juillet et se préparerait en août pour la Vuelta (en reconnaissant des étapes, en faisant le Tour du Burgos, etc.).
Alejandro aura bientôt 32 ans, et même s'il semble parti pour courir au moins jusqu'à ses 36 ans (sa suspension l'a en quelque sorte préservé), le temps passe vite, et son niveau ne sera sans doute pas le même dans cinq ou six ans qu'aujourd'hui. C'est donc maintenant, sur les 5 saisons qui arrivent, qu'il faut cartonner, essayer d'enrichir son palmarès. ll y a de quoi faire, on l'a vu. Avouez que ça serait donc dommage de ne penser qu'à une seule course, celle de juillet !